Silke Pan était acrobate jusqu’à ce qu’elle glisse lors d’un numéro de trapèze et se brise le dos. Aujourd’hui, elle tourne à nouveau dans toute l’Europe
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- 29 août 2023
- Christine Zwygart
Ses mouvements sont élégants, sa posture légère. Son expression artistique est envoûtante. Si Silke Pan présente aujourd’hui sa prestation et se tient pendant plusieurs minutes en équilibre sur les mains, cela relève presque du miracle. La paraplégique n’avait jamais imaginé retourner sur la piste ou sur la scène. Depuis qu’elle a glissé en 2007 en répétant un numéro de trapèze, laissant son partenaire Didier Dvorak incapable de la rattraper, la Romande d’aujourd’hui 50 ans est en fauteuil roulant.
Elle avait donc depuis longtemps fait une croix sur un retour sous les feux de la rampe. « Pendant ma rééducation à Nottwil, j’ai dû m’habituer à cette sensation physique entièrement nouvelle », se souvient Silke Pan. Elle ne sentait plus rien en-dessous du nombril, mais essayait tout de même de reproduire des figures de trapèze lors des séances de physiothérapie. « Mais je ne pouvais pas tourner mon bassin paralysé. » Exercices au sol, poirier, équilibre sur les mains – rien de ça ne fonctionnait.
C’est ainsi que Silke Pan avait tiré un trait sur ses rêves. Les compétences qu’elle avait acquises à l’époque à Berlin à l’école de ballet et à l’école d’art étaient désormais perdues du fait de ce mauvais coup du sort. Elle fut alors prise d’une profonde tristesse. « Je me suis dit : c’est terminé, il faut passer à autre chose. Et c’est le cœur lourd que j’ai refermé ce chapitre de ma vie. » Mais alors que faire ? Comment gagner sa vie désormais ? Comment sentir à nouveau son corps ?
« Bien que je ne me sois jamais agrippée au passé, je considère le retour aux acrobaties comme un immense cadeau. »
Silke Pan
Nouvelles perspectives dans l’art et le sport
Le couple a dû se réorienter, trouver une nouvelle quête. Didier était déjà actif auparavant comme artiste ballon, Silke a rattrapé cette formation. Ensemble, les deux acolytes se sont fait connaitre en scène sous le nom de duo Canniballoon ; en tant qu’artistes, ils aimaient être créatifs. C’est à Aigle, dans le canton de Vaud, que se trouvait leur atelier et où s’est développée l’idée de grandes décorations en ballons qu’ils érigeaient ensuite dans les centres commerciaux, les parcs de loisirs et les salles des fêtes.
En revanche, Silke Pan a dû se battre pendant longtemps contre sa paralysie et le sentiment de honte qui l’accompagne. « D’abord, c’est le sport qui m’a aidée à me sentir mieux. » Des courbatures liées au handbike plutôt que ces douleurs chroniques permanentes, des sorties dans la nature et au grand air : voilà comment elle profitait désormais de son corps.
L’ancienne acrobate est rapidement devenue une excellente sportive. Pour les courses, elle donnait tout, se battait pour une place, perdait parfois, gagnait souvent, et s’entraînait dur. Et cela a porté ses fruits : 132 courses au niveau international, 121 fois sur le podium, 80 médailles d’or. Elle a fait le meilleur temps mondial au marathon (2013 à 2015), a franchi 80 cols alpins (2016 et 2019), a fait 30 traversées de lacs en mode para-triathlon (2019). Depuis sa naturalisation en 2018, l’Allemande de naissance a intégré l’équipe nationale suisse.
« Le sport m’a permis de mieux accepter mon handicap. »
Silke Pan
Le coronavirus a changé les entraînements
Puis est arrivée la pandémie de coronavirus. Les courses étaient repoussées puis annulées, les entraînements n’avaient pas lieu. « Alors je me suis aménagé un petit studio de fitness à la maison et je me suis essayée à de nouveaux exercices de musculation des épaules, sur recommandation de l’entraîneur », explique Silke Pan. Et c’est suite à cela qu’elle a demandé à son mari Didier de l’aider pour réaliser un équilibre sur les mains. Pour que ce soit un peu plus facile, il a placé son corps sur un ancien snowboard, lui a fixé les jambes et les hanches avec des sangles, et l’a positionnée la tête à l’envers, sur les mains.
Sa première impression était marquée par un certain poids. Mais après seulement dix minutes, « c’était comme si mon corps et mes muscles s’étaient souvenus des positions d’autrefois ». Les mains et les épaules se sont automatiquement mises dans la bonne position pour un exercice acrobatique. Au quatrième essai, elle parvint elle-même à se mettre en équilibre sur les mains, attachée au snowboard.
« On a tous les deux pleuré de joie. Car pour nous, c’était clair que cela nous ouvrait de nombreuses possibilités nouvelles. » Silke Pan a essayé d’autres techniques, comme se détacher de la planche ou attacher son genou avec une corde contre sa poitrine. Peu à peu, l’entraînement l’a rendue plus forte, mais l’acrobate n’était pas satisfaite de l’esthétique. Elle a alors essayé de fixer ses pieds à une barre et de poser cette barre sur sa nuque. Dans le mille ! « Je trouve ça joli avec les jambes étendues, même si je cherche encore à rendre le tout plus élégant. »
Demandes d’apparition sur la piste
Elle a posté sur les réseaux sociaux des images de ses exercices d’équilibre sur les mains. Il s’est alors produit ce que personne n’attendait : le Cirque Helvetia l’a contactée pour l’engager, en plein dans la saison de handbike qui était toujours un succès, même si le cœur et l’esprit de Silke étaient déjà de retour sous le chapiteau. Elle a accepté, pour la période de Noël 2021 et l’été 2022.
L’école de cirque de Lausanne a elle aussi contacté l’acrobate en fauteuil roulant. Après son accident, Silke Pan avait fait don de tous ses costumes. Et maintenant, la directrice lui proposait de remonter sur son piédestal. « Ce fut un moment très fort de sentir à nouveau cette table sous mes mains. »
Outre son entraînement pour sa représentation de cirque, Silke Pan a continué de courir en handbike en 2021 et a réalisé une de ses meilleures saisons. En septembre, elle a fait savoir qu’elle se retirait du sport de haut niveau. Et seulement trois mois plus tard, elle réintégrait pour la première fois la piste, après 14 ans. À ses côtés, comme toujours, Didier, cette fois comme assistant. Le trac était énorme avant la première représentation. Mais une question taraudait l’acrobate : « J’étais sur le point de réaliser un rêve. Mais j’avais peur que mon numéro ne soit pas bien reçu et que je ne suscite que de la compassion. » L’ovation debout l’a persuadée du contraire.
De retour dans la famille internationale du cirque
À partir de là, tout s’est enchaîné. En septembre 2022, Silke Pan a participé pour la première fois à un festival international, le Salieri Circus Award en Italie. Elle était invitée comme artiste d’honneur et y a reçu quatre prix. « Et là, tout d’un coup, je faisais à nouveau partie de la famille internationale du cirque, je recevais de nombreuses demandes, on m’invitait sur des festivals... ». Sa voix laisse deviner à quel point ce retour a été émouvant pour elle. Même si aujourd’hui, sa carrière de cirque est bien différente de la première.
Actuellement, Silke Pan s’entraîne en Espagne avec ses nouveaux costumes. À partir d’octobre et ce jusqu’au printemps, elle se produira au sein du Gravity Circus à Milan, mais fera toutefois un crochet par le cirque de Noël Roncalli à Berlin. En mars 2024, elle commencera un engagement au sein du parc de loisirs PortAventura en Espagne.
Alors Silke Pan, comment retrouver le chemin de cette force incroyable après tous ces hauts et ces bas ? « Je suis restée positive dans chaque phase de ma vie », raconte-t-elle. Et reconnaissante vis-à-vis de tout ce qui a été possible et a fonctionné. Les histoires de parcours d’autres personnes l’ont aidée à mieux supporter son fardeau.
Pour elle, l’entraînement avec l’exosquelette a été central dans la gestion de son corps. C’est une sorte de robot de marche développé par l’École polytechnique fédérale de Lausanne. « J’ai été en quelque sorte une pilote de test, ce qui a permis à ma tête de réapprendre à appréhender mon corps comme un tout. »
Qu’est-ce qui vous a aidé à croire en votre force et à la regagner ?