Les handicaps comptent, mais l’ambition prime
- 8 minutes de lecture
- 30 juillet 2020
- kitwan
Les handicaps comptent, mais l’ambition prime
Reprendre le travail après une lésion de la moelle épinière (LME) est une épreuve pour beaucoup de personnes touchées. Souvent, les personnes atteintes de LME ont des difficultés à conserver l’emploi qu’elles occupaient avant la lésion car leurs capacités physiques ont changé. En raison du manque de soutien social et des idées fausses que se font les employeurs quant à l’embauche de personnes en situation de handicap, il est encore plus difficile pour elles de reprendre leur carrière.
Toutefois, comme le suggère un célèbre dicton, « Quand on veut, on peut. »
Nous avons compilé ici les histoires de quatre chefs cuisiniers en fauteuil roulant et montrons comment ils ont surmonté les défis : pas uniquement pour reprendre le travail, mais aussi pour trouver un nouveau sens à leur vie.
La quête des étoiles Michelin
Décrocher une Etoile Michelin est le rêve de nombreux cuisiniers professionnels. Haikal Johari est l’un d’entre eux. Le Singapourien a travaillé en tant que chef exécutif pour un groupe de restaurants à Bangkok, en Thaïlande, durant 13 ans. Toutefois, un accident de moto survenu en 2015 l’a laissé paralysé à partir du cou.
Bien que les médecins aient estimé sa probabilité de pouvoir à nouveau bouger son corps à seulement trois pourcents, la passion d’Haikal pour la cuisine ne s’est jamais éteinte. Il a aussi eu la chance de se voir proposer un nouvel emploi dans le restaurant espagnol « Alma » à Singapour alors qu’il était encore en réadaptation.
La femme d’Haikal lui a dit un jour,
« Ne t’inquiète pas, ton cerveau est toujours intact, tu peux encore faire des choses. »
Grâce à ses mots d’encouragement et à son soutien au quotidien, Haikal a accepté l’offre et a commencé à travailler le menu pour le restaurant avant même qu’il ait quitté le centre de réadaptation.
Il a rapidement prouvé que la capacité de réussite d’une personne n’est pas déterminée par des diagnostics ou des fauteuils roulants : il a fait partie de l’équipe pour aider le restaurant à décrocher sa première étoile Michelin lors de son lancement en 2016. Sous sa houlette, le restaurant conserve son étoile Michelin jusqu’à aujourd’hui.
En mars de cette année, le restaurant d’Haikal a, comme beaucoup d’autres, été durement frappé par la pandémie du COVID-19. Toutefois, il a considéré cette saison creuse comme une opportunité pour rendre à la société. Lui et son équipe ont uni leurs forces avec 19 autres restaurants singapouriens recommandés par le guide Michelin pour livrer 2 000 repas gratuits à des personnes dans le besoin via la banque alimentaire de Singapour. Durant la pandémie, son restaurant a également offert des repas gratuits deux fois par semaine pour soutenir le personnel de l’hôpital universitaire national de Singapour, où il a un jour suivi sa réadaptation. Haikal a déclaré,
« Je suis convaincu qu’il y a une victoire après chaque épreuve – c’est notre lumière au bout du tunnel. »
Il arrive encore parfois qu’Haikal soit en proie à un mélange de désarroi et de frustration, mais il est globalement satisfait de sa vie après la LME et a appris à être plus patient et expressif à tous les niveaux. Attribuant ses succès à un bon travail d’équipe, il encourage toujours son équipe à ne pas abandonner.
Le premier food truck accessible aux fauteuils roulants du Canada
Comme beaucoup de gens, Aleem Syed pensait que sa carrière en tant que chef cuisinier était finie après son accident en 2008, qui l’a laissé paralysé à partir de la taille. Aujourd’hui, le chef de Toronto continue à tenir le premier food truck accessible aux fauteuils roulants du Canada, qu’il a lancé en 2014.
Le tournant s’est produit lorsque Pascal Ribreau, un autre chef de Toronto, a rendu visite à Aleem à l’hôpital et lui a proposé de lui montrer son restaurant et la manière dont il travaille en tant que chef paralysé. Etant Indien et musulman, Aleem a finalement lancé sa propre affaire de restauration, en servant des plats halal dans un food truck.
Le food truck d’Aleem, qui mesure environ dix mètres carrés, est équipé d’une rampe électronique qu’il peut utiliser pour entrer dans le camion de façon autonome. Le camion est également conçu de sorte à ce qu’Aleem et ses collaborateurs, entre trois et six personnes, puissent aisément travailler ensemble en même temps.
Beaucoup de gens, y compris les médecins d’Aleem, pensent que le food truck est un miracle. C’est également de là qu’il tient son nom « The Holy Grill » (FR : Le grill sacré). A présent, Aleem sillonne le pays avec son camion et va de festival culinaire en festival culinaire, proposant des burgers halal, des tacos, des brochettes grillées et de la poutine : un plat canadien composé de frites, de fromage et de sauce brune.
Aleem a affirmé que son fauteuil roulant était pour lui bien plus que des roues et du métal, puisqu’il lui permet de vivre sa vie. Lors d’une interview pour la chaîne de télévision canadienne Global News, il a déclaré,
« Je ne laisse pas ce fauteuil devenir un ‹ facteur de handicap ›. »
Podcast pour les chefs avec des passions différentes et des handicaps différents
Le chef cuisinier américain Eli Kulp a survécu au déraillement de train qui s’est produit à Philadelphia en 2015 avec une grave LME, l’obligeant à se déplacer en fauteuil roulant électrique avec un usage limité de ses bras. Il se rappelle à quel point il était déprimé après avoir passé six mois à l’hôpital. Se lamentant constamment sur sa blessure, il ne pouvait pas imaginer comment il pourrait à nouveau être heureux un jour. Il était si frustré même s’il savait que tout le monde essayait d’être serviable, car personne ne pouvait comprendre aussi bien que lui sa situation et ses capacités.
« La dépression vous donne l’impression d’avoir des poids sur vos jambes, au point que vous ne pouvez plus bouger. »
Par chance, Eli a surmonté la période la plus sombre environ une année après l’accident, et il a trouvé la confiance et l’énergie nécessaires pour réorganiser sa vie en tant que restaurateur. Cela implique de revoir ses attentes à la baisse afin de réduire sa frustration liée aux choses qu’il ne peut pas gérer physiquement. En avril de cette année, il a commencé à aider d’autres personnes confrontées à des défis et frustrations similaires en lançant The CHEF Radio Podcast.
CHEF est l’acronyme de cooking (cuisine), hospitality (hospitalité) environment (environnement) et food (nourriture). Durant le podcast, Eli interviewe des chefs d’horizons différents et ayant des handicaps différents afin de discuter de questions liées à l’accessibilité, à la durabilité et à la justice sociale dans l’industrie alimentaire et dans l’industrie de la restauration.
Par exemple, dans un épisode, il a discuté des discriminations sexistes et de l’inégalité systématique avec la chef Jen Carroll. Il a aussi invité diverses personnalités de l’industrie pour discuter de la manière de créer un modèle économique plus équitable et de faire profiter la société de plus de répercussions positives pendant la reconstruction des moyens de subsistance durant et après la pandémie du COVID-19.
Dans l’émission, Eli a avoué qu’il lui arrivait encore de temps à autre d’être frustré, mais qu’avoir de la ressource l’avait aidé à traverser ces moments difficiles :
« Vous devez trouver des domaines dans lesquels vous êtes toujours capables, dans lesquels vous pouvez toujours faire la différence. »
Fixer un objectif, mais pas une limite de temps
Michael Thor est devenu quadriplégique à la suite d’un accident de moto survenu en 2015. Comme c’est souvent le cas, son médecin lui a dit que « chacun se rétablit différemment » et que son pronostic de guérison était sombre. Toutefois, Michael et sa famille n’abandonnent pas.
Un neurochirurgien a expliqué dans une interview que les êtres humains utilisent uniquement certaines voies dans la moelle épinière, et non pas toutes. Parfois, une guérison après une LME intervient lorsque les voies non utilisées sont développées.
Afin d’augmenter les chances de guérison de Michael, sa mère a ouvert une franchise locale d’une chaine de physiothérapie à but non lucratif dans la ville américaine d’Atlanta en 2018. Au centre de physiothérapie, Michael et d’autres personnes atteintes de LME peuvent suivre un traitement continu, qui est habituellement onéreux mais déterminant pour leur guérison.
Grâce à de multiples séances de physiothérapie chaque semaine, Michael a retrouvé un certain degré de sensibilité dans son corps et il continue à faire des progrès en retrouvant de meilleures fonctions physiques. Il explore également différentes options, y compris l’utilisation d’un bras robotique, pour l’aider à devenir plus autonome. Depuis 2019, il a pu retourner dans son restaurant « Whiskey Kitchen » à Raleigh pour y accomplir des tâches conceptuelles et administratives.
Michael ne se fixe pas de limite de temps pour guérir. Il a déclaré,
« Mon positivisme est axé sur le fait que je sais que je vais sortir de ce fauteuil. »
Peu importe le temps que cela prendra, mais il est convaincu qu’il y arrivera un jour. En attendant, il continue à exercer son emploi de responsable du restaurant et il documente sa convalescence sur Instagram sous le pseudonyme « The Crippled Cook » (FR : Le cuisinier estropié).
Quel est ou a été votre plus grand défi concernant le retour au travail et la nouvelle normalité après votre lésion de la moelle épinière ?