Le Professeur Jürgen Pannek, urologue du CSP de longue date, donne des aperçus palpitants de la façon dont les personnes paralysées médullaires surmontent leur nouveau quotidien en fauteuil roulant, et du sens de la qualité de vie
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- 16 juillet 2024
- Christine Zwygart
Les différences sont énormes : avec ses plus de 28 ans d’expérience, Jürgen Pannek le sait. En tant qu’urologue, il accompagne au Centre suisse des paraplégiques (CSP) des personnes qui se retrouvent soudainement catapultées dans une nouvelle vie en raison d’une paralysie médullaire. Il reçoit régulièrement des personnes touchées pour un contrôle ; il en connaît certaines depuis de nombreuses années. Le spécialiste a ainsi observé que l’acceptation d’un nouveau quotidien en fauteuil roulant n’est pas aussi facile ou difficile pour tous.
L’homme de 61 ans en est convaincu : « Permettre aux paralysés médullaires de disposer d’une bonne fonctionnalité est plus simple qu’une bonne qualité de vie ». En rééducation, différentes formes thérapeutiques aident à recouvrir ou améliorer les capacités motrices, sensorielles et autonomes. En revanche, la question de la qualité de vie est plus complexe et plus hétérogène : « Elle dépend de nombreux facteurs, et correspond toujours à un instantané. »
Jürgen Pannek est médecin-chef Neuro-urologie au sein du Centre suisse des paraplégiques depuis 2007.
Parallèlement à sa profession, Jürgen Pannek a suivi le cursus universitaire « Philosophie et médecine » de l’université de Lucerne. Ce dernier donne aux spécialistes du domaine de la santé et aux cadres d’hôpitaux et d’institutions médicales la possibilité de se pencher sur des questions philosophiques et d’en discuter ensemble. « Moi-même, je souhaitais avoir un nouveau point de vue sur les répercussions de notre action pour les personnes touchées. »
« Je ne peux pas comparer ma qualité de vie avec la vie d’une autre personne car je n’ai pas sa perspective de perception. »
Jürgen Pannek
Un bon équilibre est nécessaire
Jürgen Pannek s’est toujours posé des questions d’ordre philosophique, sans jamais les avoir analysées en profondeur. Son travail de maitrise était axé sur le bonheur et la colère, et s’est intéressé à une hypothèse largement répandue : la qualité de vie des personnes en situation de handicap physique est moins bonne que celle des personnes sans handicap physique.
La réponse est... oui et non. Piétons ou utilisateurs de fauteuil roulant font face à des événements qui occasionnent des hauts et des bas. « Gagner au loto ou une séparation sont des événements qui ont sur la qualité de vie un impact aigu mais pas chronique. Ces deux situations opposées se rapprochent dans leur répercussion sur la qualité de vie au fil du temps. »
Mais des études empiriques montrent aussi que la qualité de vie des personnes paralysées médullaires est plus élevée que l’intuition de la société, même si elle est bien inférieure à celle des personnes sans handicap. « Un bon équilibre entre corps, compréhension et tempérament joue un rôle central sur la manière dont les personnes touchées perçoivent leur situation », explique Jürgen Pannek.
La situation est très fragile juste après l’accident ou la blessure. Les personnes qui viennent de subir une paralysie médullaire ont du mal à porter un jugement sur elles-mêmes et leur situation. Elles traversent une crise existentielle, « sont souvent abattues et ne voient pas ou très peu de perspectives », ajoute le spécialiste. Les personnes ont besoin de beaucoup de temps pour accepter leur nouvelle situation et retrouver un sens à leur vie.
« En tant que médecin, j’ai appris pendant mes études à sauver des vies », explique Jürgen Pannek. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Se contenter de préserver les fonctions vitales ou restaurer la qualité de vie ?
Une vie en fauteuil roulant. Est-ce que je le peux ? Est-ce que je le veux ? Au cours des premiers jour, des premières semaines et des premiers mois, il y a énormément de moments sombres et difficiles.
« Aujourd’hui, lorsqu’une guérison n’est pas possible, les personnes touchées optimisent généralement leur qualité de vie grâce à la participation et à l’auto-détermination. »
Jürgen Pannek
Deux vies, deux décisions
Pour son travail de maîtrise, l’urologue s’est basé sur deux exemples de cas. Deux personnes qu’il connait/connaissait personnellement, et qui présentaient les mêmes conditions de base.
Un jeune homme de 18 ans, devenu tétraplégique partiel à la suite d’un accident de voiture. Après la rééducation, ce maçon de formation s’est reconverti en ingénieur logiciel, a repris une entreprise logicielle, et il est aujourd’hui directeur d’une entreprise d’innovation. Il a validé différentes formations postgraduées de niveau universitaire, est engagé en politique et actif au sein de différents conseils d’administration. En outre, il est joueur de rugby-fauteuil et a même pris part aux Jeux paralympiques. « Il considère sa qualité de vie comme étant bonne. De nombreuses choses qu’il a vécues en tant que paralysé médullaire n’auraient pas été possibles sans sa paralysie. »
Une jeune femme de 21 ans, devenue tétraplégique partielle à la suite d’un accident d’équitation. Après la rééducation, elle a essayé de reprendre son activité dans un centre équestre, car les chevaux étaient centraux dans sa vie. Elle s’est également mise au rugby-fauteuil. Mais pour elle, une vie en fauteuil roulant et surtout le renoncement à l’équitation entraînaient une perte de qualité de vie insupportable. Deux ans après son accident, elle a donc fait le choix du suicide assisté.
.Faire de nouvelles expériences, explorer de nouvelles sphères – ou s’écraser au sol du difficile quotidien ? La gestion d’un handicap est une chose très personnelle.
Perte ou chance
« L’homme est co-responsable de lui-même, de sa vie et de son corps », déclare Jürgen Pannek. En consultation, il ne s’agit pas d’imposer son opinion à quelqu’un, mais plutôt de l’accompagner et de fournir des informations afin que la personne puisse décider pour elle-même.
Par exemple, on peut comprendre qu’un patient atteint d’un cancer de stade avancé fasse le choix du suicide. Chez les paralysés médullaires, la compréhension est généralement moins grande, car cette lésion ne provoque pas la mort. « Mais s’il y a ce souhait, il est important de reconnaître en tant que médecin s’il existe un état dépressif et si la personne se comprend. »
« La qualité de vie n’est pas une chose fixe tout au long de la vie. »
Jürgen Pannek
Ces questions sont délicates et difficiles. Et en fin de compte, chacun a sa propre conception de la qualité de vie. Certaines personnes en fauteuil roulant sont tout simplement fatiguées : leur corps a besoin de ressources pour compenser ce qui lui manque.
En définitive, cela relève de la personnalité : « Ne voit-on que les pertes ou bien aussi les nouvelles possibilités ? » Jürgen Pannek sait qu’il faut de la volonté pour accepter la nouveauté, exploiter les situations comme elles sont et organiser sa vie pour à nouveau en tirer de la satisfaction.
Forum pour les questions éthiques
Au sein du Centre suisse des paraplégiques, il existe un groupe qui s’intéresse aux questions éthiques. Le forum d’éthique discute de cas concrets mais aussi de directives éthiques et de collaboration. En tant que membre de la direction, Jürgen Pannek prend part aux discussions ; il déclare : « Le forum doit inciter à remettre en question notre action et à la placer dans un contexte global. »
Ma vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Puis-je faire ce que j’aime ? Après une paralysie médullaire, la réorientation est aussi difficile que la réintégration dans la société.
Sources d’espoir
Une vie qui vaut la peine d’être vécue, malgré le diagnostic de paralysie médullaire. Qu’est-ce que cela signifie ? Quelle est la place de l’espoir, et comment la reconnaître et la comprendre ? Le forum d’éthique du Centre suisse des paraplégiques s’est penché sur la question : l’espoir doit être reconnu délibérément comme ressource et doit être intégré dans le quotidien de traitement et de rééducation. Dans le cadre des travaux sur cette thématique, les « sources d’espoir » ont vu le jour. Il s’agit d’endroits autour de la clinique de Nottwil qui inspirent, motivent, apportent du réconfort et de la force.
Lors de son travail de maîtrise, ce qui l’a le plus surpris, c’est à quel point il est difficile d’évaluer la qualité de vie de façon objective. Il existe d’innombrables paramètres à prendre en compte, qui évoluent constamment. La fonctionnalité, l’intégration dans la vie professionnelle et privée, la santé et la satisfaction. « En définitive, chaque personne décide si sa vie vaut la peine d’être vécue. »
Quels changements faudrait-il pour que votre qualité de vie augmente ? Dans quels moments connaissez-vous un bonheur total ?