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Vivre avec une paraplégie aux Philippines

Qu’est-ce qui facilite et qu’est-ce qui complique la vie des Philippins paraplégiques ? Notre auteur philippine Andrea raconte.

Le chemin de Jobelle de retour à la vie

Jobelle, 35 ans, vit à Cainta (Rizal) aux Philippines, en Asie. Elle est paraplégique depuis 11 ans.

Avant la paraplégie, Jobelle profite de la vie. Pendant ses études, elle est tout le temps en déplacement : elle visite de nombreux endroits des Philippines et rend souvent visite à sa famille dans d’autres provinces. Elle mène ses études à bien. Quelques mois avant son accident, elle commence à travailler dans un hôtel.

En avril 2011, elle est victime d’un accident de moto. Les médecins pensent d’abord qu’elle sera grabataire, c’est pourquoi elle reçoit une agrafe en titane pour sa colonne vertébrale. Mais un mois après l’opération, on constate qu’elle est en mesure de redevenir active. L’agrafe en titane est retirée au bout de huit mois et Jobelle fait un an de physiothérapie. Elle est alors en mesure de bouger plus librement et de travailler.

Jobelle lors d’une fête, en robe noire avec les cheveux teints en roux. Son fauteuil roulant est décoré de fleurs. On aperçoit au second plan d’autres utilisateurs de fauteuils roulants.

Jobelle s’amuse avec d’autres utilisateurs de fauteuils roulants lors d’une fête. (Source : avec l’aimable autorisation de Jobelle)

Dans une interview pour ce blog, Jobelle a toutefois déclaré qu’elle était déprimée en raison de ses douleurs. Elle a du mal à se lever le matin. « Je suis déprimée en raison des douleurs que je ressens. Jusqu’à ce jour, les douleurs physiques sont très traumatiques pour moi », déclare-t-elle.

La famille est très importante, mais pas l’indépendance

Quels facteurs facilitent la vie des personnes paraplégiques aux Philippines ? Pour Jobelle, sa famille est le facteur principal. Par exemple, après son accident, Jobelle a pleuré pendant des mois car elle voulait absolument remarcher.

« Mais ma famille m’a dit que j’étais très forte, donc ce n’est pas grave que je ne puisse plus marcher car ma famille est toujours là pour moi. »

Jobelle a pu surmonter cette période grâce à sa famille. Et maintenant encore, onze ans après son accident, elle déclare : « Ils sont un soutien essentiel pour moi. Ils sont toujours là pour moi quand je n’arrive pas à me déplacer. Même pour ma fille. »

Il en va de même pour de nombreux autres Philippins paraplégiques : ils peuvent à tout moment compter sur leur famille. Cette entraide fait partie de la culture philippine. Comme le mentionne cette étude, les Philippins accordent moins d’importance à l’indépendance que les Occidentaux. Ils constituent une communauté dans laquelle il est normal et juste de s’entraider. Les Philippins paraplégiques sont généralement heureux d’avoir des soutiens et aides sociaux, et il ne leur pose aucun problème de recevoir la charité.

L’organisation « maison sans escaliers » rend la vie plus normale

Actuellement, Jobelle bénéficie de l’aide de Tahanang Walang Hagdanan (TWH), une organisation non gouvernementale pour les personnes handicapées qui propose des services de rééducation et des postes de travail protégés. Grâce à TWH, elle a trouvé un poste d’emballeuse de médicaments pour une entreprise pharmaceutique. Ce travail ainsi que sa fille l’occupent beaucoup. Elle n’a donc pas de temps pour les loisirs.

Lors d’une journée normale, elle se lève tôt, entre 4 et 5 heures. Elle prépare ensuite le petit-déjeuner de sa fille. À 7 heures, elle se rend à son travail. En mettant les bouchées doubles, elle arrive parfois à rentrer à la maison dès 17 heures. Mais habituellement, elle doit faire des heures supplémentaires et rentre vers 19 heures.

Des personnes en fauteuil roulant en uniforme blanc, avec protection des cheveux et masque, travaillent pour le TWH à la station d’emballage.

Des personnes handicapées du TWH en plein travail à la station d’emballage. (Source : https://www.twh.org.ph)

Malgré son rude quotidien, Jobelle est heureuse de faire partie de l’organisation TWH, dont le nom se traduit par « maison sans escaliers ». Environ 90 % des personnes de l’organisation ont un handicap. D’après Jobelle, c’est une communauté au sein de laquelle les personnes se connaissent, se comprennent et communiquent très bien entre elles. Toutes sont heureuses d’être où elles sont.

« Il est certes difficile pour nous de travailler tous les jours, mais au moins nous menons une vie normale. Tahanang Walang Hagdanan nous donne cette vie normale. »

Jobelle rapporte que la ville de Cainta (Rizal) où se trouve l’organisation TWH est accessible aux handicapés. Elle compte la plus grande proportion de personnes handicapées des Philippines, si bien que la plupart des installations sont accessibles et que les personnes sont très bienveillantes. Jobelle précise que de manière générale, les Philippins sont serviables et accueillants. « Même quand nous ne demandons pas, même quand il n’y a pas de voie, ils en trouvent une. »

Les transports et l’accessibilité sont médiocres aux Philippines

En revanche, en dehors de Cainta (Rizal), Jobelle a constaté que la plupart des places et bâtiments publics ne sont pas accessibles aux personnes paraplégiques. Les transports publics sont très problématiques. Pour se déplacer, les utilisateurs de fauteuils roulants doivent louer une voiture, ce qui est très onéreux et que de nombreuses personnes handicapées ne peuvent se permettre.

Un autre gros obstacle est, d’après Jobelle, le fait que la plupart des Philippins en dehors de Cainta (Rizal) ne connaissent pas les besoins des personnes handicapées. Ils veulent certes aider, mais ils ne le peuvent pas car la conscience et les connaissances leur font défaut. Regardez par exemple cette rampe devant un restaurant, bien trop abrupte pour pouvoir être utile à un utilisateur de fauteuil roulant.

Près des escaliers d’un restaurant se trouve la rampe inclinée à 45 degrés.

Pour plaisanter, un utilisateur a appelé cette rampe « l’Everest des rampes ». (Source : Jeffrey John Imutan / Facebook, sur https://www.thesummitexpress.com)

Pour compliquer le tout, même quand les bâtiments sont rendus accessibles, ils ne le restent pas éternellement, comme le montre cette image.

Une rampe à la pente douce dans un bâtiment est coupée en deux pour dégager l’accès à une porte.

Apparemment, cette rampe bloquait une porte et a donc tout simplement été coupée en deux. Les commentaires des utilisateurs décrivent cette rampe comme idéale pour les X-Games ou pour Super Mario. (Source : Facebook @AllAboutHomesPhp)

Sortir est dangereux, rester à l’intérieur peut l’être aussi

Au premier coup d’œil, la vidéo ci-dessus dégage du positif et du réconfort. Mais l’homme roule sur la route, réservée aux voitures, ce qui est très dangereux. Comme mentionné dans cette étude, les trottoirs des Philippines ne sont pas bien entretenus et ne sont pas du tout adaptés aux fauteuils roulants. Ted et Zaldy, participants à l’étude, ont indiqué ne pas se sentir en sécurité de devoir partager une route avec d’autres véhicules. Jeffrey, un autre participant, a rapporté : « Je voulais traverser la rue. Alors que j’étais au milieu de la route, le feu est subitement passé au vert. Une voiture m’a heurté et a cassé mon fauteuil roulant. »

Une rue sans trottoir aux Philippines, le long de laquelle deux marches mènent directement à l’entrée d’une maison.

Généralement, les rues des Philippines ne comportent pas de trottoir... (Source : Monina Pacheco)

Un petit jardin est aménagé sur un trottoir devant l’entrée d’une maison.

...et quand il y en a un, il peut avoir été transformé en jardin. (Source : Monina Pacheco)

Un autre problème pour les personnes en fauteuil roulant, ce sont les catastrophes naturelles, qui sont très fréquentes aux Philippines. Parfois, elles ne parviennent pas à quitter leur maison sans aide, comme dans le cas de Bacita De La Rosa. Pendant un typhon, elle s’est retrouvée seule à la maison lors d’une inondation et n’a eu d’autre choix que d’attendre que le niveau de l’eau redescende en espérant ne pas se noyer. « Tout ce que je pouvais faire, c’était prier », a-t-elle déclaré.

Bacita De La Rosa, femme philippine d’un certain âge, chez elle dans son fauteuil roulant.

Bacita De La Rosa est dépendante de sa famille depuis bientôt 30 ans. (Source : Jason Strother / PRI, sur https://theworld.org)

L’ignorance et l’animosité de la société rendent la vie des personnes handicapées encore plus compliquée

Un autre facteur portant atteinte à la qualité de vie des personnes paraplégiques sont les attitudes et préjugés de la société philippine, comme le montre l’étude mentionnée précédemment. Les gens pensent souvent que les personnes handicapées sont des mendiants ou qu’elles sont importunes ; elles sont considérées comme incompétentes ou improductives, et comme dépendantes de leur famille. Il y a cette idée qu’elles ne peuvent rien faire elles-mêmes. Jorge, participant à l’étude, a raconté :

« Alors que j’attendais dans le couloir, on m’a demandé de partir. J’ai répondu : "Pourquoi me demandez-vous de partir ? J’ai un entretien." La mentalité du personnel était que toutes les personnes qui viennent là le font pour mendier : "Vous n’êtes ici que pour demander de l’aide"... Le personnel considérait que je bloquais le couloir et que c’était un scandale. »

Même si des personnes ont une attitude positive vis-à-vis des handicapés, le manque de conscience publique de leurs besoins reste un problème. Jobelle pense que c’est une bonne chose que les Philippins « trouvent toujours une voie », peu importe la situation. Même si l’environnement n’est pas accessible, ils essaient d’aider. Mais cela peut également avoir des répercussions négatives.

Comme le rapporte cette étude, la participante Jeana a décidé de partir en vacances, en espérant retrouver le moral après la perte de sa mère. L’endroit ne disposait pas de rampes, et le personnel s’efforçait d’être bienveillant en l’aidant à franchir les marches, mais cela lui a donné le sentiment de ne pas avoir le contrôle de ses vacances. « Comment me sentir détendue ou en paix quand je pense que des personnes m’attendent ? Surtout qu’il est déjà minuit passé. Qu’est-ce qu’il se passerait si je voulais monter à 1 heure du matin ? », se demande-t-elle.

Elle avait le sentiment d’être un poids pour les autres. Elle ne pouvait pas faire les choses qu’elle voulait quand elle voulait. Elle ne pouvait pas être seule avec son mari quand elle retournait à l’hôtel.

L’image qui suit montre un autre exemple que l’attitude « trouve une voie » peut être problématique. Un homme handicapé a dû péniblement gravir les marches d’une gare de la capitale Manille pendant que des vigiles portaient son fauteuil roulant quelques mètres devant lui. Ils pensaient certainement lui être venus en aide, mais l’homme a eu du mal.

Deux vigiles montent un escalier en portant un fauteuil roulant. Quelques marches derrière eux, l’utilisateur du fauteuil roulant peine à monter l’escalier.

La personne handicapée a certainement souffert du manque d’accessibilité ainsi que de l’ignorance des vigiles qui essayaient d’aider. (Source : Kevin Bola, sur https://www.philstar.com)

Alors que faire ?

L’absence d’accès aux transports publics est une grosse barrière ; selon Jobelle, cela doit changer. De nombreuses personnes handicapées ne peuvent pas dépenser d’argent pour la location ou l’achat d’une voiture. Certaines ne trouvent pas de travail, et celles qui en ont un gagnent souvent peu d’argent. Par conséquent, les transports publics sont essentiels pour elles afin de se rendre à leur travail, à l’église et dans d’autres lieux publics.

L’accès aux bâtiments comme les écoles est un autre gros problème. Comme le montre l’étude mentionnée plus haut, les écoles philippines ne sont pas équipées pour les personnes handicapées, si bien qu’il est difficile pour les personnes touchées de recevoir une formation.

Pour Jobelle, le plus important est de sensibiliser le grand public aux besoins des personnes paraplégiques et autres handicapés. Elle pense que cela aurait une grande influence sur leur vie, car les Philippins sont des gens très amicaux, qui veulent aider mais ne le peuvent pas car ils ne savent pas comment s’y prendre.

Pour résumer, on peut dire que la vie des personnes paraplégiques aux Philippines est bien différente de celle en Suisse. Les obstacles structurels auxquels elles sont confrontées sont bien plus grands ; mais leur culture qui favorise la famille et l’hospitalité leur a donné un sentiment d’appartenance et de force.

Que pensez-vous de la situation des personnes paraplégiques aux Philippines ? Nous nous réjouissons de vos avis.

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