Reconsidérer le but des activités de simulation du handicap
- 7 minutes de lecture
- 14 février 2022
- kitwan
Reconsidérer le but des activités de simulation du handicap
Concernant l’empathie, vous avez probablement entendu des déclarations similaires à la suivante :
« Vous ne pouvez avoir une autre perspective que si vous vous mettez à la place de quelqu’un d’autre. Ce n’est qu’alors que vous apprendrez la compassion. »
La simulation du handicap est une des activités les plus populaires pour promouvoir la sensibilisation et l’empathie parmi les personnes sans handicap. Pendant la simulation, les participants ont l’opportunité de faire l’expérience directe de ce qu’implique la vie avec un handicap particulier – pour une durée limitée et dans des conditions de handicap artificiel. Un exemple de simulation classique est l’utilisation par des personnes sans handicap d’un fauteuil roulant afin de découvrir la difficulté à se déplacer et accéder à des lieux.
La simulation du handicap est sans aucun doute une activité pavée de bonnes intentions. Cependant, les issues peuvent varier en fonction de la manière dont elle est menée.
Passer à côté d’une vision globale du handicap
Les simulations de handicap sont très controversées au sein des communautés de personnes handicapées car elles passent souvent à côté de la vision globale du handicap. Premièrement, le handicap est complexe et ses problèmes sont variés. Il est impossible de simuler tous les types de handicap. Les simulations seules peuvent difficilement présenter un vrai tableau complet du handicap.
Deuxièmement, chacun fait une expérience du handicap qui lui est propre. L’expérience ne dépend pas seulement des problèmes du handicap et des affections secondaires associées. Elle est également influencée par l’attitude de la personne, l’environnement de vie et le soutien reçu.
Le problème fréquent des simulations de handicap, c’est que les participants ont très peu de temps – quelques heures à une journée – pour faire l’expérience d’une vie avec un handicap temporaire, et le font rarement sur une base régulière. Ce dont les gens font l’expérience lors d’une simulation du handicap est donc plus proche de la difficulté initiale que constitue le fait de devenir handicapé que des processus d’adaptation réussis. D’un autre côté, ces participants savent qu’ils peuvent retrouver leur état « normal », et donc ils n’auront jamais cette sensation d’un handicap définitif.
Promotion des stéréotypes plutôt que de l’empathie
Des études se sont penchées sur les effets de la simulation du handicap et des activités d’empathie sur les participants, et les résultats varient. Une étude a montré que l’attitude des étudiants infirmiers vis-à-vis des personnes handicapées s'était améliorée après l’activité d’empathie vis-à-vis du handicap. Une autre étude a observé que les professeurs stagiaires qui ont participé aux activités d’empathie vis-à-vis du handicap étaient plus enclins à faire preuve d’empathie et à défendre les étudiants handicapés à l’avenir.
Toutefois, une étude publiée en 2017 a souligné les conséquences négatives involontaires des simulations de handicap. Pour cette étude, des exercices de simulation pour sensibiliser au handicap – en l’occurrence la dyslexie, les problèmes auditifs ou les problèmes de mobilité – ont été attribués de manière aléatoire à 60 étudiants. Tous les participants ont été interrogés sur leur humeur, leurs idées et attitudes vis-à-vis du handicap avant et après la simulation.
Les résultats ont montré que les simulations de handicap ont donné aux participants des sentiments plus négatifs et les ont fait se sentir vulnérables quant au risque de souffrir eux-mêmes d’un handicap. Ceux qui ont utilisé des fauteuils roulants ou une simulation de dyslexie pendant l’expérience étaient particulièrement plus anxieux, embarrassés et démunis après les simulations.
Bien que les participants soient devenus plus empathiques vis-à-vis des personnes handicapées, ils avaient tendance à approuver des déclarations comme « Je suis reconnaissant de ne pas avoir un tel fardeau (du handicap) » et « J’ai peur de penser que je pourrais finir comme elles (les personnes handicapées) un jour ». Les participants se sentaient également désormais moins à l’aise dans leurs interactions avec les personnes handicapées.
Simulations avec guidance ciblée
Les conséquences négatives rapportées dans l’étude précédemment citée sont les raisons pour lesquelles les activités de simulation ne sont pas hautement recommandées par les activistes du handicap. Le Docteur Arielle Silverman détaille les activités de simulation du handicap.
Aveugle depuis la naissance, Arielle a passé son diplôme de doctorat en psychologie sociale en 2014. Ayant étudié les approches d’information du grand public sur le handicap, elle mène des recherches sur le handicap et offre des services de formation pour promouvoir une compréhension juste du handicap et une adaptation positive en conséquence.
Arielle n’est pas opposée aux activités de simulation du handicap. Toutefois, elle souligne que les techniques pour surmonter cet événement constituent un élément central que de nombreuses simulations classiques omettent. Sa recherche suggère que cela amplifie la peur et le désarroi des participants, promouvant les idées fausses concernant les handicaps. Pour qu’une simulation génère des résultats positifs, il faudrait présenter aux participants les techniques particulières qui les aident à surmonter les défis posés par la simulation du handicap. Ils doivent apprendre qu’être handicapé n’est pas synonyme d’être impuissant.
En 2017, Arielle a publié des recherches où elle a conçu une activité de simulation pour ceux qui étudient l’ergo- et physiothérapie. Les étudiants ont vécu le passage d’une chaise à un fauteuil roulant manuel et se sont déplacés seuls dans une pièce. Il leur a également été demandé de faire un sandwich en utilisant leur main non dominante et différentes aides. L’activité a été délibérément conçue de manière à ce que les étudiants puissent accomplir les tâches sans trop de difficultés, en leur fournissant des instructions sur les techniques d’adaptation.
Le résultat : après la simulation, les étudiants étaient plus d’avis que les personnes handicapées se voyaient comme heureuses et en bonne santé. En outre, l’expérience avec les techniques efficaces les a fait se sentir plus positifs vis-à-vis de la vie avec un handicap.
Autres moyens de sensibiliser au handicap
Dans un autre article, la militante et activiste handicapée Zara Todd suggère des alternatives qui pourraient mieux fonctionner que les simulations de handicap. Selon elle, les études de cas de personnes handicapées sont par exemple de meilleurs moyens d’en apprendre sur leur vie, leurs limitations et les inégalités auxquelles elles sont confrontées. Elle mentionne que les organisations à but non lucratif comme l’European Network on Independent Living racontent les histoires vraies de personnes handicapées d’une perspective basée sur les droits de l’homme.
Sur leur chaîne YouTube, vous pouvez trouver des vidéos de témoignage comme la suivante. Elle est réalisée par des membres de Handi-Social, une organisation sur le handicap basée en France. Les gens parlent des défis de l’accessibilité auxquels ils sont confrontés quotidiennement. Ils révèlent également l’injustice qu’ils rencontrent en se battant pour leurs droits humains.
Il existe aussi des vidéos fortes comme la suivante, qui peuvent attirer une grande attention sur les réseaux sociaux et inspirer des réflexions et discussions sur le handicap dans le monde entier :
Bien entendu, quand c’est possible, la socialisation en personne reste le meilleur moyen d’en apprendre sur le handicap. Les hypothèses incorrectes ou négatives concernant les personnes handicapées proviennent d’un manque de communication et d’interaction sociale. Rendre les sociétés plus inclusives serait plus efficace et adapté que les simulations du handicap, qui n’offrent aux gens que des opportunités temporaires et non réalistes de découverte du handicap. L’inclusion est également un droit humain pour lequel il faut continuer de se battre, comme le soulignent les Nations Unies,
« Les sociétés inclusives reconnaissent et construisent des politiques de développement autour de la diversité de leurs membres et permettent l’inclusion et la participation de tous, indépendamment de leur statut. »
Quelle est votre expérience des activités de simulation du handicap ? Quel est selon vous le meilleur moyen de favoriser la sensibilisation et l’empathie au sujet des personnes handicapées ?